samedi 22 mars 2014

Henri de Lubac (1896-1991)

Un attachement inébranlable à l’Église

Né à Cambrai, Henri Sonier de Lubac est le fils d’un cadre de la Banque de France.
Après des études chez les jésuites aux environs de Lyon, il entre à l’âge de 17 ans dans la Compagnie de Jésus.
Les Congrégations ayant été expulsées de France en 1905, il doit faire son noviciat en Angleterre.
Mobilisé en 1915, lors de la première guerre mondiale, il est grièvement blessé à la tête en 1917, près de Verdun. Toute sa vie il gardera des séquelles de sa blessure ; en particulier de violents maux de tête.
La guerre terminée, de Lubac suit le cycle habituel des études des jésuites ; d’abord en Angleterre, puis à Lyon-Fouvières, lorsque la Compagnie de Jésus est autorisée à revenir en France.
Ordonné prêtre en 1927, de Lubac, deux ans plus tard, est nommé professeur de théologie fondamentale aux Facultés catholiques de Lyon.
En 1938, il publie son premier livre "Catholicisme" dans lequel il présente l’Église non plus comme une société hiérarchiquement organisée - comme on avait l’habitude de la définir - mais comme la continuation de l’Incarnation du Fils de Dieu communiquant sa vie divine à l’ensemble de l’humanité ; une vision qui sera adoptée par le Concile Vatican II ; d’autant qu’elle est celle des Pères de l’Église.
A peine a-t-il eu le temps de commenter son livre, qu’éclate la seconde guerre mondiale. Il s’engage alors, pendant les quatre années d’occupation, dans un mouvement de résistance spirituelle en participant à la rédaction des cahiers clandestins du "Témoignage chrétien1". Il y dénonce avec force le caractère antisémite et antichrétien du nazisme.
En 1942, avec le Père Jean Daniélou, il fonde la collection "Sources chrétiennes" destinée à faire connaître les textes majeurs des Pères de l’Église et des grands mystiques.
Au cours des quatre années qui suivent, il publie successivement :
  • "Le drame de l’humanisme athée". Dans cet ouvrage, il s’oppose avec vigueur aux philosophes qui, depuis Feuerbach2, prétendent édifier un humanisme sans Dieu ou contre Dieu. Mettre sa foi en un Dieu, déclarent-ils, c’est se mettre sous sa dépendance et en conséquence c’est aliéner sa liberté.
    De Lubac adhère pleinement au témoignage prophétique de Dostoïevski3 qui annonce la faillite de l’athéisme4.
  • "Surnaturel", un livre où de Lubac développe la thèse suivante : il n’y a pas eu de "nature pure" de l’homme avant que celui-ci soit touché par le don de Dieu. L’appel à connaître Dieu et le besoin de l’associer à sa vie quotidienne, affirme t-il, est, dès l’origine, présent à l’être humain. A l’appui de cette affirmation, de Lubac cite la célèbre réflexion de saint Augustin : « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Toi. »
    « Comment, ajoute de Lubac, un esprit conscient peut-il être autre chose qu’un désir absolu de Dieu ? »
Avec la publication de "Surnaturel", commencent pour de Lubac polémiques et années de tourmente. On lui reproche de ne pas respecter la gratuité du don de Dieu à l’homme, et de remettre en cause la Révélation comme événement décidé par Dieu, à un moment de l’histoire de l’humanité.
Le Père de Lubac et ses amis vont jusqu’à être accusés de neo-modernisme. Visé par l’encyclique "Humani generis5" du pape Pie XII en 1950, de Lubac - malgré le soutien du cardinal Gerlier6 - est interdit d’enseignement par le général de la Compagnie de Jésus7. Il est prié de quitter Lyon. C’est alors, pour lui, le temps de l’exil à Paris.
Il n’est autorisé à reprendre ses cours qu’en 1958, l’année de l’élection du pape Jean XXIII. C’est à ce moment là qu’il étudie l’œuvre d’Origène8 et qu’il découvre l’exégèse spirituelle ; c’est-à-dire, que l’Écriture n’a pas qu’un sens littéral, mais qu’elle est porteuse de nombreuses significations spirituelles qui ne peuvent être dévoilées qu’à la lumière de l’Esprit Saint.
Peu après, il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques.
Passionnément attaché à l’Église, le Père de Lubac réfléchit longuement sur son mystère. Il publie trois ouvrages sur ce sujet qu’il intitule respectivement : "Méditation sur l’Église" (1953) ; "Paradoxe et mystère de l’Église" (1967) et "Les Églises particulières dans l’Église universelle" (1971).
L’Église, écrit-il, est Mystère, non pas au sens d’une énigme incompréhensible, mais dans le sens qu’elle est, comme le Christ, une réalité inépuisable et insondable. On ne peut la circonscrire dans aucune définition. Comme le Christ avec lequel elle ne fait qu’un, on ne peut pénétrer le mystère qu’est l’Église que peu à peu, dans le silence de la prière. C’est l’Esprit Saint qui nous révèle le mystère de l’Église et qui ne cessera jamais de nous le révéler :
« Comment la cerner, cette Église, comment la saisir ? Plus mon regard cherche à s’accommoder, plus j’écarte les représentations trompeuses, plus éclate à mes yeux sa vérité profonde, et moins je sais la définir.
Si je lui demande alors de me livrer sa propre définition, voici qu’elle me parle avec une profusion d’images, tirées de sa vieille Bible, dont je sens bien qu’elles ne sont pas de simples illustrations pédagogiques, mais autant d’allusions à une Réalité qui restera toujours indiscernable, en son point focal, à mon intelligence naturelle…
Si j’entreprends de méditer sur elle, je m’enfonce en un mystère dont l’obscurité ne se dissipe pas. »
L’Église, ajoute de Lubac, est également Mère en ce sens
« qu’elle nous enfante. Toute sa mission et d’enfanter l’humanité nouvelle dans le Christ ou, pour parler comme saint Paul, d‘enfanter l’Homme nouveau, c’est-à-dire le Christ en sa plénitude….
Oui, qu’elle soit louée, cette grande Mère, aux genoux de qui nous avons en effet tout appris, et nous continuons chaque jour à tout apprendre ! C’est elle qui, chaque jour, nous enseigne la Loi de Jésus Christ, nous met en main son Évangile et nous aide à le déchiffrer. »
Et c’est parce qu’elle est Mère, qu’elle nous révèle ce que nous sommes pour Dieu :
« Le mystère de l’Église est par excellence notre propre mystère. Il nous prend tout entier. Il nous enveloppe de toute part, puisque c’est dans son Église que Dieu nous voit et nous aime, puisque c’est en elle qu’Il nous veut et que nous Le rencontrons, en elle aussi que nous adhérons à Lui et qu’Il nous béatifie. »
Il faut attendre la convocation et la préparation du Concile Vatican II pour que la réhabilitation du Père de Lubac soit complète. Il est, en effet, nommé comme expert par le pape Jean XXIII.
Présent pendant toute la durée du Concile, il milite vigoureusement en faveur de la collégialité épiscopale, de l’œcuménisme, mais aussi pour la place primordiale à donner à l’Écriture et à la Tradition.
Comme le Père Congar, il manifeste une totale incompréhension à l’égard des théologiens qui font davantage référence aux textes pontificaux et aux écrits ecclésiastiques qu’à l’Écriture. C’est ainsi qu’il note dans ses "Carnets du Concile" :
« On peut dire qu’il y a deux sortes de théologiens. Les uns qui disent : relisons l’Écriture ; scrutons la Tradition ; écoutons les grands théologiens classiques ; n’oublions pas de faire attention aux Grecs…
Situons- nous dans ce contexte et comprenons d’après lui les textes ecclésiastiques ; ne manquons pas non plus de nous informer des problèmes des besoins, des difficultés d’aujourd’hui, etc.
Les autres qui disent : relisons tous les textes ecclésiastiques de ces cent dernières années : encycliques, lettres, discours de circonstances, décisions prises contre tel ou tel, avertissement du Saint-office, etc. ; de tout cela, sans en rien laisser perdre ni en corriger le moindre mot… Ne regardons rien au dehors ; ne nous perdons pas dans de nouvelles recherches sur l’Écriture ou la Tradition, ni a fortiori sur des pensées récentes qui nous feraient risquer de relativiser notre absolu. »
Le Père de Lubac concluant en substance par ces mots : très heureusement, ce sont les premiers qui l’ont largement emporté au Concile. La majorité des Pères conciliaires ont choisi la théologie qui plonge à la source biblique et à la grande Tradition.
Il participe aussi très activement à la rédaction de la "Constitution sur l’Église".
Reprenant ce qu’il développe dans son livre Méditation sur l’Église, il s’emploie en particulier, à faire reconnaître par les Pères conciliaires ce qui est pour lui une conviction : à savoir que Marie étant la Mère du Christ, est Mère du Corps du Christ, c’est-à-dire Mère de l’Église.
Cette conviction est consacrée par le Concile qui déclare que
« Marie est Mère du Christ et Mère de tous les hommes… et que, dans la sainte Église, elle occupe, après le Christ, la place la plus élevée et en même temps la plus proche de nous. » LG n°54
une déclaration corroborée par le titre de "Mère de l’Église" que le pape Paul VI décerne explicitement à Marie lors de son discours de clôture de la 2ème session en novembre 1964 :
« Nous proclamons la Très Sainte Vierge Marie Mère de l’Église, c’est-à-dire de tout le Peuple de Dieu. »
En reconnaissance pour tous ses travaux et sa fidélité à l’Église, le pape Jean-Paul II élève le Père de Lubac au cardinalat, en 1983.
Jusque dans les dernières années de sa vie, de Lubac ne cesse de publier.
En 1991, dans un article qu’il fait paraître dans la collection "Communio", il rappelle qu’il faut faire une distinction très nette entre la foi et la croyance :
«  Prise dans la plénitude de son acception, la foi présente un ensemble de caractères qui la distingue de la simple croyance…
Tandis qu’une croyance quelconque peut seulement être plus ou moins ferme, la foi, qui comme telle est ferme, est toujours susceptible de degrés de profondeur bien divers. Car elle n’est pas seulement un mode de connaître. Elle est tout autre chose qu’une simple conviction. Elle est un acte essentiellement personnel qui engage, s’il est bien compris, le fond de l’être. Elle l’oriente tout entier. Aussi a-t-on pu dire qu’elle est "synthèse totale".
De plus, si la foi se fonde, comme bien d’autres croyances, sur un témoignage, ce témoignage est d’une nature unique : il est le témoignage de Dieu ; il ne demeure pas, comme les témoignages humains totalement extrinsèque à l’esprit qui le reçoit. Car Dieu n’est pas extérieur à l’être qu’il a créé. »
Après de lourdes souffrances dues à ses blessures de guerre et aux infirmités que lui impose son grand âge, Henri de Lubac meurt le 4 septembre 1991.
Ses obsèques sont célébrées à Notre-Dame de Paris.
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1 A la libération, le journal "Témoignage chrétien" prend le relais des cahiers clandestins.
2 Ludwig Feuerbach : philosophe allemand du XIXème siècle qui développe la théorie du matérialisme à partir de la négation de l’existence de Dieu.
3 Fiodor Dostoïevski : écrivain russe du XIXème siècle.
4 une prophétie qui s’est réalisée avec les barbaries du XXème siècle (archipel du Goulag et fours crématoires d’Auschwitz).
5 encyclique dans laquelle Pie XII dénonce les ouvrages philosophiques et théologiques qu’il estime périlleux pour l’Église.
6 archevêque de Lyon.
7 Au même moment, plusieurs des ouvrages du Père de Lubac sont retirés des séminaires et des Facultés catholiques.
8 Origène est un Père (grec) de l’Église du IIIème siècle.

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