vendredi 26 juillet 2013

La vie liturgique avant Vatican II

La liturgie chrétienne date du début du christianisme, car les premiers disciples de Jésus ont tout de suite éprouvé le besoin de se rassembler et de prier :
  • d’abord, nous disent les Actes des Apôtres, en se rendant dans le Temple comme le faisaient les juifs de Jérusalem,
  • puis, comme en témoignent également les Actes des Apôtres, nous savons que la Communauté chrétienne primitive de Jérusalem prit très vite l’habitude de se réunir dans des maisons et que leurs assemblées domestiques consistaient à rompre le pain et à partager un repas :
    « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières…
    Unanimement, ils se rendaient chaque jour assidûment au Temple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourriture dans l’allégresse et la simplicité du cœur et ils louaient Dieu
    1. »
Très tôt, l’assemblée du dimanche2 revêtit une importance particulière parce que, pour les premiers chrétiens, le dimanche était le jour de la résurrection du Seigneur.

La fête annuelle de Pâques semble n’avoir été instituée qu’au tout début du IIème siècle3.

Il faut attendre l’ « Apologie »4 », un ouvrage du philosophe et martyr saint Justin, écrit vers l’année 150, pour avoir des précisions sur la façon dont se déroulait l’eucharistie au IIème siècle :

« Le jour qu’on appelle le jour du soleil5, tous, qu’ils habitent les villes et les campagnes, se réunissaient dans un même lieu.

Lecture de la parole de Dieu : on lit les mémoires des apôtres et les écrits des prophètes autant que le temps le permet.

Homélie : la lecture finie, celui qui préside prend la parole pour avertir et exhorter à imiter ces beaux enseignements.

Prière des fidèles : ensuite, nous nous levons tous, et nous prions ensemble à haute voix.

Geste de paix : puis, comme nous l’avons déjà dit, lorsque la prière est terminée, on se donne le baiser de paix.

Apport des oblats6 : Ensuite, on apporte du pain avec du vin et de l’eau. Celui qui préside les prend et fait monter la louange et la gloire vers le Père de l’univers au nom du Fils et du Saint Esprit.

Prière d'Action de grâce : il prononce une Action de grâce, comme il le peut7, sur ce qu’il nous a jugé dignes de ces biens.

Doxologie : l’Eucharistie et les prières achevées, tout le peuple qui est présent s’y associe en disant "Amen" (ce qui veut dire en hébreu : "qu’il en soit ainsi").

Communion sous les deux espèces : lorsque le président a célébré l’Eucharistie et que le peuple s’y est associé, ceux qu’on appelle chez nous les diacres donnent à chacun des assistants une partie de pain et de vin mêlé d’eau, sur lesquels il a été rendu grâce et ils en portent aux absents.

Geste de partage : ceux qui sont dans l’abondance, et qui veulent donner, donnent librement, chacun ce qu’il veut.
Ce qui est recueilli est remis entre les mains du président... Il secourt tous ceux qui sont dans le besoin.
Nous nous rassemblons tous, le jour du soleil, parce que c’est le premier jour où Dieu… créa le monde, et que ce même jour, Jésus Christ notre sauveur ressuscita des morts8
. »

Ce témoignage de saint Justin est d’autant plus précieux que la structure qu’il nous donne de la liturgie eucharistique est, à quelques détails près, celle qui est encore en vigueur aujourd’hui tant en Orient qu’en Occident.

Après la conversion de l’empereur romain Constantin et la proclamation de l’Edit de Milan (313) qui autorise les chrétiens à professer publiquement leur foi, la liturgie peut être mise par écrit.

La période entre le IVème et le VIIème siècle est une période de grande création liturgique. Les prières eucharistiques, tant en Occident qu’en Orient se chiffrent par centaines.

En Occident, pendant la période franque, les liturgies sont tellement nombreuses et diverses que Pépin le Bref puis Charlemagne, à la fin du VIIIème siècle, imposent la liturgie romaine dans leur immense empire. Ce qui n’empêche pas les évêques d’introduire des modifications qu’ils jugent nécessaires.

Durant la période carolingienne (jusqu’au Xème siècle), apparaissent et se multiplient dans la liturgie eucharistique, des prières personnelles du célébrant appelées "apologies" : des prières dans lesquelles les célébrants, imprégnés d’un fort sentiment d’indignité et de culpabilité, multiplient accusations et confessions avant et au cœur de la célébration.

Au XVIème siècle, au moment de la réforme protestante, le pape Pie V (1566-1572), impose, à l’issue du Concile de Trente, un type de liturgie unique pour l’ensemble du monde latin avec cet avertissement à propos du missel :
« Si quelqu’un ose y toucher quelque chose, qu’il sache qu’il encourt une excommunication immédiate et d’autres peines possibles. Qu’il sache aussi l’indignation du Dieu tout puissant et des bienheureux Pierre et Paul9. »

Malgré cette menace, de nombreux évêques continuent à maintenir une liturgie particulière. C’est notamment le cas de la France où beaucoup de diocèses utilisent une liturgie dite « gallicane ».

Il faut attendre le « mouvement liturgique » lancé par le bénédictin Dom Guéranger10 au XIXème siècle pour que, peu à peu, la liturgie romaine remplace la liturgie gallicane. Une restauration qui se généralisera à l’issue du Concile Vatican I. Après le Concile Vatican I, la réglementation de la liturgie deviendra exclusivement l’affaire du Saint Siège et non plus celle des évêques.

Les précurseurs de la réforme liturgique

La "Constitution sur la liturgie" se situe dans la ligne des réformes entreprises par les papes Pie X (1903-1914), Pie XI (1922-1939) et Pie XII (1939-1958).
L‘année même de son élection, Pie X, dans son Motu proprio « Tra le sollicitudine », réclame à propos des célébrations liturgiques qu’il y ait « participation active des fidèles aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Eglise. »

En 1905, il invite les fidèles à la communion fréquente11 et demande que la communion soit donnée aux enfants. Il recommande également aux fidèles de communier juste après la communion du célébrant et non en dehors de la messe.

A sa suite, Pie XI plaide dans son instruction « Divini cultus », en 1929, pour que les fidèles n’assistent pas aux offices comme « des spectateurs étrangers ou muets, mais qu’ils fassent alterner leur voix avec la voix du prêtre »

Cependant c’est Pie XII qui donne une impulsion décisive à la réforme liturgique. Dans son encyclique « Mediator Dei12 » (en 1947), il déclare que toute action liturgique comporte deux acteurs : le Christ et l’ensemble des fidèles ; il formule ainsi le fondement de la participation active des fidèles :
« La Sainte liturgie est donc le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme Chef de l’Eglise ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son Chef et par Lui au Père éternel ; c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus Christ, c'est-à-dire de la Tête et de ses membres13. »

Par le baptême, ajoute le pape, les chrétiens sont devenus membres du Corps du Christ et, à ce titre, durant la liturgie eucharistique, sont appelés - par la main du prêtre qui célèbre - à offrir le Christ et à s’offrir eux-mêmes en communion avec le Christ.

C’est également Pie XII qui, en 1951, rétablit la Vigile pascale14, et qui, en 1955, restaure la Semaine Sainte. La même année, il met en place une commission pour réformer la liturgie.

En outre, pour que, selon ses propres termes, « il y ait participation active des fidèles », il favorise la création de rituels bilingues.

A propos du latin, Pie XII déclare en 1957 :
« Il serait superflu de rappeler encore une fois que l’Eglise a de graves motifs de maintenir …l’obligation inconditionnée pour le prêtre célébrant d’employer la langue latine. »

Sous l’impulsion de l’encyclique « Mediator Dei » de nombreux pays créent des « Instituts supérieurs de liturgie » comme par exemple celui de Paris fondé en 1956 conjointement par le C.P.L.15 et l’abbaye de Mont-César16, et placé sous la direction de Dom Bernard Botte17.

Si, au Concile Vatican II, le schéma sur la liturgie est choisi et traité en premier, c’est grâce aux travaux accomplis par les théologiens, les liturgistes18, les historiens et les canonistes suite à l’encyclique de Pie XII.
____
1 Actes des Apôtres 2,42-46
2 Dimanche : du latin « dies dominicus », « Jour du Seigneur ». Le dimanche était le premier jour de la semaine.
3 Les premiers chrétiens commencèrent à fêter annuellement la Pâque du Christ, le jour de la Pâque juive, le 14 Nizan, c'est-à-dire le jour de la pleine lune du printemps. Après le Concile de Nicée en 325, ils décidèrent de fêter la Pâque du Christ, le dimanche suivant le 14 Nizan.
4 « Apologie », du grec « apologia ": « défense », « justification » (face à ceux qui critiquaient la doctrine chrétienne).
5 C'est-à-dire le dimanche.
6 « Oblats », du latin « oblatus », « présenté », « offert ».
7 La Prière d’Action de grâce était donc improvisée.
8 « Apologie », 67.
9 Pie V ajoute cependant, car il ne prétend pas fixer la liturgie pour toujours et empêcher ses successeurs d’innover en matière liturgique: « L’Eglise a pour toujours le pouvoir, en matière d’administration des sacrements, et leur substance étant sauve, de prendre des décisions ou d’introduire des changements qu’elle juge opportuns pour l’utilité spirituelle de ceux qui les reçoivent ou pour le respect des sacrements eux-mêmes, selon la variété des circonstances, des temps et des lieux. »
10 Dom Guéranger, abbé de Solesmes, sera le premier à ne plus réserver la liturgie au clergé, mais à la redonner aux fidèles. Il œuvrera, pour qu’au cours de la messe, les fidèles ne se réfugient plus dans une prière individuelle, mais retrouvent le goût et l’importance de la prière communautaire.
11 Ce qui n’était plus l’habitude depuis longtemps en raison de l’influence persistante du jansénisme.
12 La première encyclique consacrée entièrement à la liturgie.
13 Voir introduction de l’encyclique.
14 Désormais le rite ne se déroule plus en petit comité à l’aube du Samedi Saint, mais comme autrefois, avec tout le peuple rassemblé, dans la nuit du samedi au dimanche de Pâques.
15 "Centre de pastorale liturgique". Ce Centre organise des sessions annuelles et s’exprime par des revues et collections ("La Maison Dieu", "Fêtes et saisons", "Lex Orandi"). Il coordonne également la réalisation de missels bilingues qui sont des instruments de culture et de formation chrétienne pour les fidèles.
16 Abbaye bénédictine située à Louvain, en Belgique.
17 Dom Bernard Botte (1893-1980), bénédictin de l’abbaye de Mont César, fut le premier directeur de l’I.S.L. ("Institut supérieur de liturgie") à Paris.
18 Comme, entre autres, le jésuite autrichien Josef Jungman qui dans un ouvrage très documenté "Missarum solemnia" publié en 1948, explique que la liturgie a continuellement évolué au cours de l’histoire ou comme l’abbé Georges Aimé Martimort qui publie en 1961 une introduction à la liturgie : "Eglise en Prière".

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