jeudi 25 juillet 2013

La crise moderniste

Dès le début du XXème siècle, deux positions extrêmes s’affrontent à propos de l’exégèse et déclenchent ce qu’on a coutume d’appeler "la crise moderniste1".

Les uns, issus du protestantisme allemand2 et de l’école positiviste, appliquent sans nuance les nouvelles méthodes de critique historique et littéraire dans leur interprétation de la Bible. Ils traitent les textes scripturaires exactement comme les autres documents historiques, et ont tendance à considérer, en ce qui concerne le Nouveau Testament, que celui-ci est une reconstruction par les toutes premières communautés chrétiennes des paroles et des actes de Jésus. Dans cette optique, ils appellent à faire une distinction entre le Jésus de l’histoire et le Jésus de la foi des premiers chrétiens3.

La seconde position est celle des catholiques conservateurs appelés "intransigeants". Estimant que l’Ecriture ne peut être interprétée que par l’Eglise officielle, ils refusent que celle-ci soit soumise aux nouvelles méthodes scientifiques de l’exégèse comme le font notamment l’abbé Alfred Loisy, professeur à l’Institut catholique de Paris et le Père Marie-Joseph Lagrange, directeur de l’Ecole biblique de Jérusalem. Les premières interventions pontificales concernant l’interprétation des textes bibliques approuvent largement cette attitude conservatrice.

Léon XIII (1878-1903) est le premier pape à s’exprimer sur ce sujet. Dans son encyclique "Providentissimus Deus" (1893), il rappelle à ceux qui sont rangés parmi les "modernistes", le principe déjà énoncé au Concile Vatican I :
« Tous les livres (de la Bible) ont été écrits sous la dictée de l’Esprit Saint…Les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ont Dieu pour auteur. »

Il encourage cependant les recherches des exégètes catholiques, dans la mesure où ils le font avec beaucoup de prudence et toujours en lien avec le magistère.

Son successeur, le pape Pie X (1903-1914) réagit beaucoup plus violemment : dans le décret du Saint Office "Lamentabili" (1907), il condamne avec une rare virulence le "modernisme4" qu’il appelle « le rendez-vous de toutes les hérésies ».

Il le fait en 65 propositions dont la plupart visent Alfred Loisy, lequel sera excommunié l’année suivante.

Le pape Benoît XV (1914-1922), se réclamant de saint Jérôme, déclare dans son encyclique "Spiritus paraclitus"(1920) qu’il faut lire l’Écriture de façon littérale.

Il faut attendre le pape Pie XII (1939-1958) et son encyclique "Divino afflante Spiritu" (1943) pour constater l’évolution de la position officielle de l’Église concernant l’interprétation de l’Écriture.

Dans le paragraphe 34 de l’encyclique, après avoir invité les exégètes à ne pas interpréter littéralement l’Écriture, il leur demande de prendre en considération les intentions des auteurs des textes scripturaires ainsi que le milieu dans lequel ils ont vécu:
« L’exégète doit s’efforcer, avec le plus grand soin, sans rien négliger des lumières fournies par les recherches récentes, de discerner quel fut le caractère particulier de l’écrivain et ses conditions de vie, l’époque à laquelle il a vécu, les sources écrites et orales qu’il a employées, enfin sa manière d’écrire. »

Dans le paragraphe suivant, l’encyclique reconnaît qu’il existe dans l’Écriture des genres littéraires différents, ce qui nécessite qu’on interprète les différents textes scripturaires en les situant dans leur contexte et en analysant la manière dont ils ont été écrits :
« Il faut absolument que l’exégète remonte en quelque sorte par la pensée jusqu’à ces siècles reculés de l’Orient, afin que s’aidant des ressources de l’histoire, de l’archéologie, de l’ethnologie et des autres sciences, il discerne et reconnaisse quels genres littéraires les auteurs de cet âge antique ont voulu employer et ont réellement employés. »

L’encyclique "Divino afflante Spiritu", opère donc un véritable revirement par rapport aux déclarations des papes précédents. Elle lance l’exégèse catholique sur la voie de la critique historique et met un terme à la "crise moderniste". L’impulsion qu’elle donne sera confirmée, comme nous allons le constater maintenant, dans la "Constitution sur la Révélation" du Concile Vatican II.

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1 Le mot "moderniste" est un qualificatif essentiellement polémique appliqué sans discernement à tous ceux qui tentent de réconcilier foi et sciences modernes. Sans pouvoir définir le terme "modernisme", on peut dire à propos de ceux qui le condamnent, qu’est taxé de "moderniste" toute personne suspectée de considérer que le christianisme et l’Église doivent prendre en compte les sciences nouvelles.
2 Au sujet des recherches sur la Bible, l’Église allemande a une grande avance sur celle de la France qui est occupée, après la Révolution, à se réorganiser et à reconstituer son clergé.
3 Une position extrême évidemment rejetée par l’Église.
4 La même année, dans son encyclique "Pascendi", Pie X réitère la condamnation du modernisme. En 1910, il impose à tous les clercs un serment par lequel ils s’engagent à respecter les clauses de l’encyclique. Ce serment ne sera abrogé qu’en 1967.

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